Sainte-Beuve
Voyage en Italie (1839)
- “Vu Ischia, songé à Farcy, à Lamartine: impression triste, quant à moi. Ischia me paraît aride: le volcan éteint, l’Epomée, a jadis crevé par la base et a recouvert la plage d’informes et hideuses scories: c’est laid. Ce volcan était en train de devenir quelque chose, il a manqué sa fortune de volcan; il a fait long feu.
A Ischia. Les lieux les plus vantés de la terre sont tristes et désenchantés lorsqu’on n’y porte plus ses espérances. Tout golfe de Baia y devient il mare morto. Est-ce parce que j’ai été parricide pour Lamartine (tu quoque fili - moi aussi, hélas!) que ce golfe de Baia, si doux pour lui, m’a paru amer? Combien j’éprouve le contraire de ce que j’y voyais d’avance sur la foi de Lamartine! Cette côte est déserte, aride, bouleversée, frappée de mort: la vie s’est déplacée, elle est vis-à-vis sur l’autre plage, à Sorrento. A Baia, c’est la ruine, l’abandon; la Jérusalem et la Sodome du golfe de Naples; un air de désolation s’étend sur cette petite Babylone, les délices du monde romain”. -
- “Ce soir, 31 mai, en descendant du Vésuve, à cinq heures et demie, admirable vue du golfe: fines projections des îles sur une mer blanche, sous un ciel un peu voilé; ineffable beauté! Découpures élégantes: Capri sévère, Ischia prolongée, les bizarres et gracieux chaînons de Procida; le cap Misène isolé avec sa langue de terre mince et jolie, le chateau de l’Oeuf en petit l’imitant, le Pausilippe entre eux doucement jeté: en tout un grand paysage de lointain dessiné par Raphael - Oh! vivre là, y aimer quelqu’un et puis mourir!”